Goutte d'eau

Je fus réveillé par la chute d'une goutte d'eau sur mon front. Je pensai tout de suite à une infiltration au plafond, au-dessus de mon lit, et je me dis qu'il faudrait faire venir un ouvrier sans tarder. J'allumai la lampe de chevet pour vérifier l'importance des dégâts. Je constatai que le plafond était sec. Pas la moindre auréole. J'allais conclure à une méprise, mais une deuxième goutte me toucha près de l'œil droit. « Ça, c'est Incroyable ! » me dis-je, et je me levai pour aller voir dehors ce qu'il en était. Je n'avais pas fait trois pas dans le jardin quand je reçus une nouvelle goutte. Pourtant le ciel était dégagé. Les étoiles brillaient dans la nuit.

Depuis il pleut sans cesse sur moi. Il pleut jour et nuit. Il pleut quand je suis dedans, il pleut quand je suis dehors. Il pleut par beau temps comme par mauvais temps. Il pleut sous mon parapluie, sous la capuche de mon imperméable, sous mon casque de mobylette. Aucune protection n'est efficace. Il pleut goutte à goutte sur ma tête, de façon régulière et inexorable. Et ces chutes d'eau ont fini par produire une érosion. Mon crâne a pris une configuration inhabituelle. Je ne ressemble plus à rien. Je crains pour mon avenir.

La main

J’étais étendu nu sur mon lit, dans l’obscurité de ce sans sommeil, quand j’ai senti une main saisir ma et la serrer fort. Je me suis assis précipitamment et j’ai tendu le bras devant moi pour écarter mon agresseur, mais je n’ai trouvé personne. J’ai tâté le bord du lit, j’ai agité mes bras en moulinet, non, décidément, j’étais seul dans la chambre ; seul avec cette main égarée posée sur moi, agrippée, pareille à une araignée charnue. Je me suis alors laissé retomber en arrière sur le drap, et ainsi allongé, j’ai respiré amplement pour endiguer ma panique. La main a relâché son étreinte et s’est avancée sur ma jambe. Elle a dépassé le genou, elle est passée près de mon sexe en le frôlant, elle s’est faite lourde sur mon ventre où elle s’est attardée avant de vadrouiller sur ma poitrine et de finir son parcours, doigt écartés, dans mes cheveux. Ensuite elle a disparu. J’ai vite tiré sur moi la couverture et j’ai enfoui ma tête sous l’oreiller. Pas question d’un nouveau contact avec cette main vagabonde. J’étais sûr qu’elle s’était posée quelque part dans la pièce, sur un meuble ou sur une poignée de porte. Elle devait me guetter dans le noir, dans l’attente de prendre son envol pour venir se poser à nouveau sur moi, après avoir plané au-dessus de mon corps.

Goutte à goutte

— Floc... Floc... Floc...
— Vous gouttez ?
— Oui, je goutte.
— Vous gouttez du nez ?
— Floc... Floc... Floc...
— Si vous ne voulez pas répondre, restons-en là.
— Je ne peux pas goutter et répondre en même temps.
— Voulez-vous que j'aille chercher une serpillière ?
— Non, merci. Dans moins de deux heures, je serai complètement déshydraté et j'en mourrai. Une serpillière ne me serait d'aucun secours.
— Je crois qu'il faudrait alerter un médecin tout de suite.
— Le mieux serait d'appeler un plombier.
— Mais c'est impossible, nous sommes dimanche !
— Floc... Floc... Floc...
— Je vous en prie, finissez de dire tout le temps floc, floc, floc.
— Je ne peux rien dire d'autre puisque précisément je goutte.
— À mon avis, c'est parce que vous dites floc, floc, floc que vous gouttez.
— Allez savoir ! Floc... Floc... Floc...
— Attention, vous êtes en train de m'éclabousser. Regardez, le bas de mon pantalon est trempé. Et j'ai de l'eau dans les chaussures !
— Floc... Floc... Floc...
— Vous êtes assommant, à la fin.
— Floc... Floc... Floc...
— C'est malin, je vous jure ! Maintenant, je suis mouillé jusqu'à la ceinture.
— Floc... Floc... Floc...
— Arrêtez ça tout de suite ! Ça monte, je suis immergé jusqu'au menton.
— Floc... Floc... Floc...
— Je vais me noyer, c'est sûr ! Au secours ! Au secours !
— Floc... Floc... Floc...
— Glou... Glou... Glou...
— (Bas, pour lui-même) Et voilà le travail ! Pour un crime parfait, c'est un beau crime parfait.