Cycle de l'eau


Au lever du jour
l'eau s'éparpille
l'herbe est constellée
de grains liquides
le temps de boire le café
l'H2O s'est envolée
chacun prend sa teinte jaune
brune ou mordorée
le blé cuit la sauterelle saute
le bœuf est altéré
on regarde dans un coin du ciel
un nuage peut-être torrentiel
il part sans s'être dégonflé
le soleil est bien fatigué
et c'est pourtant la nuit qui tombe
et le repos sur le monde
dans la nuit réapparaît
l'eau fraîche qui s'éparpille
le ciel est constellé
de grains liquides


Iris


Le pont jeté sur les eaux
s'envole vers les brumes
on a hissé les couleurs
pour fêter sa fortune

on a volé le mendigot
l'humble ver jeune
se range dans la courge
entre l'outre et le beffroi

tout cela fait l'arceau
compagnon du soleil
l'herbe secoue ses os
le blé s'émerveille

et sur la route embourbée
quelques mares
survivent reflétant le pont jeté
de l'une à l'autre rive


Avec le temps


Avec le temps le toit croule
avec le temps la tour verdit
avec le temps le taon vieillit
avec le temps le tank rouille

avec le temps l'eau mobile
et si frêle mais s'obstinant
rend la pierre plus docile
que le sable entre les dents

avec le temps les montagnes
rentrent coucher dans leur lit
avec le temps les campagnes
deviennent villes et celles-ci

retournent à leur forme première
les ruines même ayant leur fin
s'en vont rejoindre en leur déclin
le tank le toit la tour la pierre


Chambre d'auberge un jour de pluie


Il pleut à gros bouillons
— alors elle est bonne la soupe? —
il pleut à gros bouillons
sur l'édredon

qui a tiré la chasse d'eau
d'une main si énergique?
qui a tiré la chasse d'eau
là-haut

c'est peut-être un anticyclone
un truc météorologique
c'est peut-être un anticyclone
qui fait le clown

il tombe des seaux et des seaux
de hallebardes helvétiques
il tombe des seaux et des seaux
d'eau

une odeur de champignons
anciens se fait entendre
le nez s'emplit de ce son
et coule

le crépuscule vient de tomber
sur la fenêtre en déroute
et les volets vont claquer
dans la nuit morte

l'eau multiplie ses trajets
il faut attendre il faut attendre
les heures passent passent noyées
dans l'ombre


L’orage


Tout à coup l’orage accourt
avec ses grosses bottes mauves
il piétine les bégonias les blés les prés
il marche sur les chênes
il emplit les rus de son urine
il crache de la boue
il broie l’air entre ses bras
et puis il s’en va
content de lui


La culture


Dans la friche on sème des mots
on y sème aussi des phonèmes
des morphèmes des sémantèmes
roses roseaux aux bords de l'eau
bruns grains fichés dans les labours
verts coquelicots des prairies
noirs lys au fond des forêts
dans la friche on sème des mots
pour qu'ils repoussent bien plus beaux


Encore le cycle de l'eau


La pluie vadrouille entre les chênes
se frotte aux nids de lichens
s'enfonce à travers l'humus
on la croit morte ou perdue

sassé par les branches torses
le soleil sèche feuilles écorces
voici la pluie réapparue
elle renaît dans ce ru

elle ira jusqu'aux usines
jusqu'aux égouts jusqu'aux sardines
et reviendra comme autre plu‑
ie verdir les chênes orangés


Le déluge


La pluie qui tombe ensemence la rivière
qui s'enfle accouchant d'une crue
la pluie qui tombe ensemence la crue
qui se gonfle et couvre l'horizon
la pluie qui tombe ensemence l'horizon
il pousse au-dessus des montagnes
une végétation de vagues sévères
l'horizon fond il ne reste que l'eau


Le ru initial


Où donc va le ru tranquille?
à la rivière qui l'attire
vers le fleuve à travers la ville
à travers champs jusqu'à la mer.
Que devient-il dans l'océan?
avec ceux de tous continents
il s'exalte en un ru géant


Destin d'une eau


Où cours-tu, ru?
où cours-tu, ru,
au fond des bois?
agile comme une ficelle
tu coules liquide étincelle
qui éclaire les fougères
minces souples et légères
abandonnant derrière toi
la mobile splendeur des bois
où cours-tu, ru?
où cours-tu, ru,
du fond des bois
tu te précipites à la mort
tu perdras tes eaux vivaces
dans un courant bien plus fort
que le tien qui se prélasse
au pied des fougères
minces souples et légères
ignorant sans doute tout ce qui t'attend
la rivière le fleuve et le dévorant océan